Comment prononcer correctement rsync ?

Divulgâchage : On pourrait croire que c’est facile, tout le monde sait comment prononcer rsync et les commandes UNIX ! Non ? Et s’il y avait plusieurs façons de faire, plusieurs populations se côtoyant sans s’en rendre compte ?

Tout à commencé une journée comme les autres. Les petites arsouyes sont à l’école pendant que les grandes arsouyes travaillent. Aujourd’hui, on revoit notre sauvegarde…

Depuis la migration de notre NAS sur un serveur Windows 2019 (qui nous sert aussi d’Active Directory), on a quelques déboires avec les montages samba (ou NFS) qui ne sont pas toujours bien reconnus par nos outils.

Dans la conversation, on évoque l’utilisation de rsync pour copier les données vers la machine de sauvegarde avant d’envoyer une copie vers le cloud.

Et là, le drame.

Surprise. FreePhotosArt @ pixabay

Horreur. Stupéfaction. Aryliin prononce [ɛʁ.sɛ̃k]. Tbowan bloque, s’étonne, ne comprend pas… De quoi parle-t-elle ? Une commande Unix qu’il ne connait pas ? Impossible ! Pourtant, il sait qu’on prononce [ɛʁ.siŋk].

[ɛʁ.sɛ̃k]
Transcription phonétique qu’on pourrait rendre par les mots « air cinq ».
[ɛʁ.siŋk]
Transcription phonétique qu’on pourrait rendre par quelque chose du genre « air sïngk » (prononcer comme dans parking à la belge, i, ng, mais finissant par k).

Suit l’Illumination (avec la majuscule) : Aryliin pourrait-elle avoir raison ? Ou mieux, peut-on dire les deux (mais pas simultanément) ?

Fidèles à nos habitudes et notre réputation, nous avons mis de côté les sauvegardes et creusé ce sujet d’importance vitale. D’un côté avec un troll pour sonder les réseaux sociaux et tâter des usages. De l’autre en contactant des expertes en linguistique et phonologie pour avoir un avis plus éclairé et sans doute moins partisan.

Une fois n’est pas coutume (mais pourrait faire tradition), cet article accueille donc des invités que nous avons l’honneur d’accueillir 😊.

Camille Fauth
Maîtresse de conférences à l’université de Strasbourg, elle y enseigne la phonologie et la phonétique générale et expérimentale. Dans le cadre de ses recherches, elle est spécialisée en phonétique clinique. Ses recherches se portent également sur les questions d’esthétique vocale.
Laura Goudet
Maîtresse de conférences en linguistique anglaise à l’université de Rouen et spécialiste d’analyse de discours en culture numérique et de media, gender studies ainsi que de dialectologie de l’anglais, Laura Goudet a récemment publié un chapitre dans l’ouvrage Médias et communication électronique : enjeux de société (2019).
Naomi Yamaguchi
Maîtresse de conférences à l’université Sorbonne Nouvelle-Paris 3, ses cours portent sur la phonologie, l’acquisition du langage et les langues du monde. Ses travaux de recherche portent principalement sur la façon dont les enfants acquièrent les sons de leur langue première, et comment cette acquisition peut interagir avec l’acquisition des mots, de la grammaire et des compétences pragmatiques.

Comment prononcer ?

Comme tout le monde ? Et si seulement c’était si simple…

Les choses sont en train de changer mais aux débuts de l’informatique, la transmission des connaissances s’est principalement faite à l’écrit et en anglais.

Il y bien sûr eu quelques cours magistraux pour nous dire les choses (techno au collège mais ensuite il fallait attendre les cours spécifiques à l’Université) mais en dehors des bases, la majeure partie de nos connaissance s’est construite à côté, par la lecture d’articles, de manuels et de discussions sur IRC. Et en informatique, si vous vouliez les détails, c’était en anglais.

Lorsque nous avons rencontré des mots (et des commandes) pour la première fois, nous avons du inventer, dans notre intimité, nos propres représentation auditives. Sans personne pour nous dire la chose, nous n’avons pas pu l’entendre.

Alors lorsque nous avons rencontré la commande rsync, comme pour toutes les autres commandes, nous avons, chacun, choisi une prononciation plutôt anglophone ou francophone.

« Il s’agit donc ici de mots que vous prononcez uniquement pour vous comprendre, avec d’autres programmeurs/programmeuses, qui vont utiliser l’une ou l’autre variante, pour diverses raisons : la nationalité de chacun, ses appétences linguistiques, ses positions par rapport aux anglicismes […] »

Laura Goudet

Depuis les échanges se sont multipliés et les usages ont pu s’influencer, se partager et rebondir pour qu’aujourd’hui, on se trouve avec deux camps (c’est plus commode pour troller).

En anglais ?

« Si on veut trancher, on peut partir de l’origine du mot, qui est son créateur et quelle est son origine et alors adapter sa prononciation. »

Camille Fauth

La commande rsync a été développée par l’australien Andrew Tridgell dans le cadre de sa thèse de doctorat qui portait sur les algorithmes efficaces de tri et de synchronisation. Malheureusement, son manuscrit ne contient pas d’indication sur la manière de le prononcer en francophonie.

« Efficient Algorithms for Sorting and Synchronization », Andrew Tridgell, Thèse de Doctorat à l’Université Nationale d’australie, 1999 (pdf).

Parlement d’Australie à Canberra. pattyjansen @ pixabay

Pour prononcer correctement rsync, dans le respect de la langue de son auteur, on peut imiter les anglophones en prononçant [ɑːr.sɪŋk]. [ɑːr] comme dans « you are » et [sɪŋk] un peu comme le verbe « to sink » (pour une prononciation très approximative, voyez what are you sinking about).

« Écoutez par exemple les différences de prononciation des noms des artistes étrangers, les locuteurs allemands utilisent souvent une prononciation plus “anglaise” pour les artistes d’origine anglo-saxonne alors que souvent les français francisent joyeusement. Ce sont finalement des “choix” guidés par les capacités de prononciation des sons étrangers, de la connaissance de ceux-ci ou de sa position vis à vis de l’utilisation de mots d’origine étrangère. »

Camille Fauth

Mais voilà, nous n’avons pas les mêmes facilités que nos voisins germanophone et l’informaticien francophone le plus zélé bute sur quelques difficultés.

« Pour qu’il puisse fonctionner dans la langue cible, l’emprunt doit subir les mêmes règles et contraintes phonologiques, morphologiques, syntaxiques que les autres éléments de la langue. »

Naomi Yamaguchi

Ainsi, nous sommes bien obligés, malgré nous, d’adapter le mot à nos possibilités et habitudes :

  1. Le préfixe [ɑːr] n’est pas le truc le plus facile à prononcer pour les francophones… C’est d’ailleurs l’un des premiers exercice en primaire ou au collège. La fameuse « patate chaude ».
  2. Le [ɪ] anglophone n’est pas tout à fait le même que le [i] francophone. Les puristes entendent la différence mais comme ça se ressemble beaucoup le jeu n’en vaut pas l’effort.

Ce qui explique la prononciation franglaise [ɛʁ.siŋk]. Sorte de compromis entre respect de l’anglais et pragmatisme ergonomique.

En français ?

Mais quitte à franciser, pourquoi ne pas aller jusqu’au bout ?

Institut de France. Wikimedia

Puisqu’on est destiné à nommer cette commande régulièrement lorsqu’on parle avec ses collègues, autant qu’elle soit dans notre langue… Après tout, on en a déjà francisé plein d’autres qu’on utilise tout le temps…

« MoVe pour déplacer, PWD pour “print working directory”, ReMoveDIRectory, etc., sont faciles à retrouver »

Laura Goudet

Mais rsync fait partie de ces commandes entre deux mondes, comme RMDIR qui ne sont ni des acronymes (dont on pourrait énoncer les lettres comme ls et cd) ni des mots (qu’on pourrait prononcer comme less et more).

On en est donc rendu à un compromis, prononcer les lettres de l’acronyme et les bouts de mots… [ɛʁ.sɛ̃k] qu’on pourrait réduire à « R5 ».

Comment prononce-t-on ?

Toujours prêts à rendre service, les arsouyes ont donc lancé une vaste étude sociologique sur cette question épineuse…

Illustration de la bataille d’Azincourt. Wikimedia

Prenant les réseaux sociaux à témoin de notre différend, nous leur avons demandé de prendre notre parti dans la querelle pour enfin pouvoir trancher.

Twitter ?

S’il y a bien une qualité à ce réseau social, c’est sa capacité à nous fournir des information utiles, pertinentes et adaptées.

Après une journée de sondage intensif (6 réponses), nous avons aboutis au seul résultat véritablement prévisible sur cette question…

Résultats mitigés sur twitter.

50% de réponses dans chaque camps. Nous voilà bien avancés.

Par pure mauvaise fois, tbowan pourrait comptabiliser une 7ème réponse en retard pour la version anglophone et enlever la réponse d’aryliin qui avait voté mais par respect des données recueillie, nous garderons les résultats tels quels.

Peut être parce que 6 réponses, ça n’est pas statistiquement très représentatif, zythom a également posé la même question et récolté 470 réponses.

Sondage by zythom

56,6% pour le franglais contre 30,9% pour le français. Suivent 4,9% pour l’anglophone complet et 7,7% qui ne (se?) prononcent jamais.

Linkedin ?

Se vantant Le réseau social pour professionnel où vous êtes sensé pouvoir trouver des réponses à vos question, nous avons également posé la question sur linkedin (avec le même appel partisan).

Les résultats sont plus utilisables puisque légèrement plus tranchés. On notera que certains sondés ont choisi le vote nul (un autre émoticône que ceux proposés, tout à fait dans l’ambiance).

Résultats plus tranchés sur linkedin.

62,5% pour la version franglaise contre 25% pour la version française et 12.5% de votes nuls.

Voyant les résultats intermédiaires, aryliin a lancé à un deuxième appel où elle a récolté des résultats comparables : 3 contre 1.

Google ?

Parce qu’il est notre amis, nous pouvons lui poser nos questions et obtenir une réponse impartiale, c’est promis.

google fight ne prenant pas en charge l’alphabet phonétique et ne trouvant aucun résultat avec air sink et R5, nous avons du trouver une méthode ad hoc.

Nous avons fait une recherche dans les vidéos avec le mot clé « rsync » puis demandé de restreindre les résultats au français. Après avoir écouté les vidéos des 4 premières pages de résultats (car ensuite ça n’est plus pertinent), voici les scores…

C’est plus net dans des vidéos

68,7% pour la version franglaise (dont korben, ça dit tout), 18,7% pour la version française et 12,5% sans parole (de la musique pour l’une, du bruit de fond pour l’autre).

Et donc ?

Il y a quelques jours, nous pensions vivre dans un monde idéal et parfait où tous les informaticiens francophones se comprennent car chaque mot a sa prononciation unique et officielle.

« je dirais qu’il n’y a pas réellement de prononciation canonique surtout pour les mots d’origine étrangère. »

Camille Fauth

En ouvrant par erreur inadvertance une porte, nous avons découvert un nouveau monde où nos mots ne font pas les mêmes bruits. La taille de l’un étant à la louche la moitié de l’autre.

Le monde est plein d’altérité à découvrir, riche de nouveautés à savourer.

Qu’est-ce que ça dit ?

Qui dit plusieurs possibilités dit incertitude et donc information… En mesurant les proportions pour chaque prononciation, les réponses sur twitter équivalent à 1 bit d’entropie, celles de linkedin à 0,86 bits et celles de google à 0,75 bits.

Si on intègre les votes blancs et nuls comme troisième possibilité (après tout, ils ont été exprimés en ne disant rien), les réponses de linkedin équivalent à 1,3 bits et les vidéos trouvées via google à 1,2 bits.

D’accord, autour d’un bit, ça ne fait pas beaucoup mais de quelle genre d’information peut-il s’agir ?

Un différentiateur social ?

Tout comme les accents nous renseignent immédiatement sur les origines de nos interlocuteur, on peut se demander si, ici aussi, la prononciation nous fourni des indices sur « son niveau ».

En fait, pas vraiment car il est très hasardeux d’inférer quoi que ce soit avec rsync (et les autres commandes en général). On se heurte en fait à de très nombreuses limitations…

Il est différent. Pascal-Laurent @ pixabay

En fait, ce sera surtout une histoire de relativité… si vous prononcez d’une façon contraire au groupe dans lequel vous évoluez, vous ne faites que souligner votre différence. Vous ne dites rien sur vous bien sûr mais c’est à double tranchant car ça va, qu’on le veuille ou non, exacerber les préjugés…

Un choix politique ?

Sans aller jusqu’à parler de choc de civilisation, l’hégémonie de l’anglais sur l’informatique en général pose quelques problèmes. D’accès au savoir puisqu’il faut d’abord passer la barrière de la langue et parallèlement de diffusion puisque vos travaux seront moins lu s’ils sont publiés dans votre langue maternelle…

Exemple parmi tant d’autres, nous nous rappelons la réunion de clôture de la « Conférence sur l’apprentissage automatique » de 2006. Au milieu de questions logistiques classiques (l’année prochaine on fait ça où ? quand ? qui s’en occupe ? on mange quoi ce soir ?), s’est posée la question d’interdire ou d’accepter les soumissions anglophone.

D’un côté les publications en anglais permettent une diffusion plus large des résultats (et une meilleure notoriété pour les chercheurs, mine de rien, ça compte). De l’autre, les publications en français sont les seules lisibles par les contribuables qui ont financé ces recherches (et plus faciles à rédiger pour certains chercheurs, pensons aussi à eux)…

Résistance. klimkin @ pixabay

À chaque fois qu’on emprunte un mot d’une autre langue, la même question revient : l’utiliser tel quel, l’adapter ou le traduire ?

« Veut-on respecter l’anglais, le français, ce qu’on a appris, ce qu’on entend le plus souvent (ou au contraire, poser une attitude politique avec son choix ?). »

Laura Goudet

Parfois, les termes en anglais sont utilisé pour jargonner. Le marketing (lui-même un anglicisme) en regorge : B2B, B2C, blogging, call to action,… Ils s’en moquent eux-même régulièrement.

Pour se rendre accessible, on peut alors décider de traduire les termes avec le risque de tomber dans l’excès inverse. Celui de résister encore et toujours à l’envahisseur.

Le choix du terme traduit (ou francisé) peut alors revêtir un choix politique, l’affirmation d’une identité culturelle distincte. Rôle dévolu à l’Académie française depuis sa fondation.

« L’Académie française recommande les pluriels “francisés” et réguliers mais certains linguistes défendent l’autre possibilité. »

Camille Fauth

Que doit-on faire ?

En l’absence de version officielle et de consensus, il n’y a pas vraiment de bonne façon de prononcer

Ce ne sont pas les linguistes qui nous l’indiqueront car leur rôle consiste à observer, décrire et étudier les usages sans chercher à prescrire une version.

On pourrait se tourner vers des institutions plus officielles comme l’Académie française ou l’Office québécois de la lange française qui, dans leur mission de défense de la langue française, sont amenées à proposer des versions officielles mais comme ils ne mesurent pas le péril qui nous guète, les commandes Unix ne sont pas leur priorité…

Personnellement, nous votons pour créer une nouvelle commande synd, abréviation de synchronisation distante qu’on pourrait enfin prononcer super facilement [sɛ̃.de]. Exactement comme le verbe scinder, oui. Votre auditeur se demandera si ses fichiers sont en un seul morceau et ne pourra le vérifier qu’à l’écrit 😁.

En attendant une décision des sages (et avec la chance ces deux institutions ne seront pas du même avis), on peut faire comme on le sent…

« Vous avez tous les deux raison : Aryliin est plus cohérente, dans le sens où elle poursuit la logique d’adaptation phonologique sur l’ensemble du mot; quand à Tbowan, d’une part il privilégie l’aspect « emprunté » du mot et d’autre part il maintient une certaine distinctivité avec le mot « cinq » en français (ainsi, on évite l’homophonie avec R-5 par exemple). »

Naomi Yamaguchi

Car le but quand on parle, c’est de communiquer vers l’autre et de s’en faire comprendre. Sans lui, pas de communication. En ce sens, ces prononciations différentes sont une célébration de la diversité. Vive nous tous.

Et après ?

La même question de prononciation pourrait se poser pour plein d’autres mots, commandes ou logiciels (nginx, knoppix, …) mais, sauf à avoir de version officielle, on obtiendra toujours plusieurs bonnes réponses.

Pour les curieux qui voudraient aller au delà de la prononciation, voici un article sur le vocabulaire.

Transparent, opaque ou invisible ?

21 Décembre 2020 On pourrait le considérer comme le point Godwin du séminaire, ce moment où l’orateur prononce ce mot et que tout bascule, sa crédibilité s’en est allée et plus rien d’intéressant ne sera abordé.