Informagie Divine et Profane
En science fiction, la troisième loi de Clarke énonce que « Toute technologie suffisamment avancée est indiscernable de la magie ». Elle a été écrite initialement pour s’appliquer aux récits de science fiction mais s’adapte très bien au monde réel. Car après tout, notre esprit vit dans l’imaginaire et les mythes que nous construisons autour de notre expérience du réel.
Ainsi, je rencontre souvent des gens qui m’avouent considérer l’informatique comme magique. Ils ont raté le coche lorsque c’est rentré dans leur vie, ou n’ont pas voulu se plonger dans cette science ésotérique qui ne les intéressait pas à l’époque et, aujourd’hui, ne sachant pas comment et pourquoi ça marche (ou, en expertise, pourquoi ça ne marche pas comme ils voudraient), ils sont rendu à considérer que des puissances occultes sont à l’œuvre. Pour une partie de la population, c’est de l’informagique.
De son côté, le jeu de rôle Donjons & Dragons, qui se déroule dans un univers médiéval fantastique1, décline la magie sous deux formes : Divine et Profane. La première est utilisable par les prêtres, druides, paladins et rôdeurs. La seconde par les magiciens, ensorceleurs et bardes.
Mais ce n’est pas parce qu’il n’y a pas d’informatique dans D&D qu’on ne peut pas se demander dans quelle classe entreraient les informaticiens…
La Magie Divine
Je vais commencer par citer le manuel des joueurs de D&D 3.5 qui définit la magie divine comme suit (page 179). C’est moi qui ait ajouté le gras.
Prêtres et druides font appel à la magie divine, de même que les paladins et les rôdeurs ayant atteint un certain niveau. Comme son nom l’indique, ce type de magie tire son énergie d’une source divine. Les prêtres obtiennent leurs sorts de leur dieu ou de l’un de ses serviteurs, les druides et les rôdeurs des forces de la nature, et les paladins de celles du Bien et de la Loi.
La première caractéristique de ce type de magie est donc que le pouvoir réel est aux main d’entités supérieures. L’adepte est incapable de modifier seul le réel et doit ainsi prier ces puissances occultes pour qu’elles intercèdent en sa faveurs.
La caractéristique principale dont dépend cette capacité est la sagesse qui regroupe les capacités de volonté, d’observation, de bon sens et d’intuition. L’adepte n’obtient pas les faveurs des puissances par la négociation ou la persuasion (compétences qui dépendent du charisme) mais par l’observation strictes des règles et rites de son église. Qu’il s’en écarte et il perdrait ses capacités.
Ses adeptes sont proches des populations qu’ils considèrent devoir guider et assister. Mais pas forcément par bonté d’âme. D’abord parce qu’il y a des dieux neutres et d’autres franchement mauvais ou chaotiques. Mais ensuite (et surtout), parce que la finalité est d’augmenter l’aura de leur dieu en augmentant le nombre de ses adeptes ; plus une divinité est adulée, plus elle a de pouvoir temporel.
Magie Profane
Je vais, ici aussi, citer les règles (page 177) et ajouter un peu de gras.
Magiciens, ensorceleurs et bardes font appel à la magie profane, qui leur permet de manipuler directement l’énergie magique. Elle exige de leur part un grand talent inné (pour les ensorceleurs), de longues heures d’étude (pour les magiciens), voire les deux (pour les bardes).
Contrairement à la magie divine, cette fois les adeptes sont aux manettes directement. C’est leur actions et leur volonté qui leur permet de modifier le réel. Leur puissance est personnelle et ne dépend pas d’entités extérieures.
La caractéristique principale du magicien est l’intelligence qui lui permet d’étudier, retenir et d’apprendre de nouveaux sorts. Les bardes et ensorceleurs y vont plutôt au talent et c’est donc leur charisme qui fait la différence.
Autre différence, contrairement à la magie Divine où les adeptes avaient accès à la totalité des sorts de leur niveau (puisque c’est l’entité supérieure qui les lance), la magie profane nécessite d’avoir appris les sorts individuellement avant de pouvoir les lancer. Le talent des ensorceleurs et bardes leurs évite de devoir les étudier mais ils doivent tout de même les apprendre (même si c’est intuitif pour eux).
Pour se souvenir de leurs sorts, les magiciens les notent dans leurs grimoires ou sur des parchemins. Ces notes ne sont lisibles que par leur auteur. Un autre magicien qui voudrait les apprendre devra d’abord réussir un test de décryptage. Contrôle d’accès classique pour éviter qu’un novice n’accède à des pouvoir trop grands pour ses capacités.
L’Informagique
Si l’informatique est magique, à quelle catégorie appartient-elle ?
Techniquement, même s’il y a des tendances, ce n’est pas l’effet du sort qui détermine sa catégorie. Par exemple, Arme magique (page 201) est à la fois un sort profane utilisable par les magiciens et ensorceleurs, mais aussi un sort divin utilisable par les prêtres et les paladins.
Ce qui les différencie, fondamentalement, c’est l’entité à la source du pouvoir. Une entité supérieure ou le pratiquant lui-même ?
Ainsi, les solutions sur étagères qui vous proposent de résoudre vos problèmes sont autant de « petits dieux qui naissent dans le désert et attendent un prophète pour démarrer leur culte » :
- Il n’est pas exagéré de parler de Guerres Saintes entre vi et emacs, entre Apple, GNU/Linux et Microsoft, entre X, Meta et le fédiverse,…
- Scrum n’est pas une boîte à outils pour produire des logiciels mais une religion rituelle qui promet la réussite à ceux qui suivent sa liturgie.
- Ansible, Docker et Kubernetes forment La Saint Trinité des DevOps. Un mouvement œcuménique qui prône l’automatisation et la surveillance pour le salut des infrastructures.
- ChatGPT, DALL-E et cie forment un panthéon de divinités qui répondent directement aux prières de leurs adeptes, moyennant une obole au Temple pour financer leur clergé.
De leur côté, les magiciens de l’informatique profane décryptent les Fantastiques Manuels, cherchent à en comprendre les arcanes et utilisent leur art pour modifier directement le système. Les ensorceleurs y vont au talent et les bardes en font des caisses pour impressionner la galerie.
Et après ?
Puisque l’informatique peut être Divine ou Profane, on peut maintenant se demander à quelle type de magie font appel les informaticiens qu’on connaît… Que ce soit parce qu’on a besoin d’une approche particulière, ou pour mieux comprendre des collègues et leur façons d’aborder leurs problèmes.
En plein sur leurs ouvrages, il est difficile de reconnaître les uns des autres car l’informatique se passe essentiellement dans l’esprit du pratiquant. Difficile de reconnaître un magicien d’un prêtre lorsque tous deux fixent leur écrans, manipulent le clavier et gribouillent des signes cabalistiques sur un bout de papier.
Mais il y a quelques occasions où on reconnaît immédiatement les habitudes des uns et des autres. Par exemple, face à une nouvelle technologie. Pour les prêtres, le nombre d’adeptes conditionne la puissance de la divinité et, indirectement, leur puissance à eux. Ils vont donc faire preuve de prosélytisme, prêcher la bonne parole et tenter de vous convertir. Les magiciens y voient plutôt un nouvel univers à explorer et à comprendre.
De même, lorsqu’ils rencontrent un problème. Les prêtres partent du principe que le rite n’a pas été effectué dans les formes. Ils vont alors chercher des exemples et des témoignages pour les comparer au cas présent qu’ils modifieront jusqu’à ce que ça fonctionne. Les magiciens ont plutôt tendance à lire les manuels et le code source pour comprendre le système et ainsi déterminer où et comment le modifier.
De manière générale, les prêtres donnent la priorité à la forme là où les magiciens penchent plutôt vers le fond. Face à un code source, les prêtres verront les erreurs de syntaxe et les magiciens verront les erreurs de sémantique. Face à un texte, les prêtres verront les fautes d’orthographe et les magiciens celles de raisonnement. Dans leurs communication, les prêtres utiliseront des registres de langue2, des mots à la mode3 et autres structures de phrases stéréotypées4.
Et si vous n’avez pas le temps d’observer ces signes subtils, il reste toujours la bonne vieille couleur du chapeaux… Les évêques portent traditionnellement du blanc alors que les sorcières sont notoirement habillées de nuit. Et ça fait des étincelles lorsque vous les approchez trop près l’un de l’autre.