Conventions de stage au féminin

L’été est synonyme de soleil, de beau temps, de chaleur avec quelques orages pour rafraichir mais aussi de stagiaires… Surtout que cette année, en plus des 3ième (collège) et diverses études post-bac, il faut aussi compter sur les 2nd (lycée) et leur deux semaines de garderie d’observation en entreprise.

Et qui dit stagiaires dit aussi convention de stage. Ce document d’un peu moins de 10 pages qui fixe les règles du jeu du stage et qu’il faut donc compléter pour correspondre à chaque contexte particulier.

Cette année, nous accueillerons une jeune étudiante pendant une semaine. Pour que tout soit en règle, elle a utilisé l’application web de son Université (de Rennes) en renseignant tous les champs du formulaire (y compris son sexe) et l’application a généré automagiquement une convention au format PDF dont voici le début de la toute première page (le numéro a été changé).

Pour faciliter la lecture du document, les mots “stagiaire” , “enseignant référent”, “tuteur de stage”, “représentant légal”, et “étudiant” sont utilisés au masculin.

Comme vous l’avez sans doute remarqué dès la première lecture, cette nota (locution latine remplaçant note qui permet de démontrer la culture supérieure du rédacteur) pose quelques problèmes grossiers :

Alors maintenant que nous avons enlevé l’éléphant de la pièce, qu’on a fait le tour de trucs bien évidents, j’aimerais attirer votre attention sur un point de détail très subtil qui nécessite peut être une deuxième lecture très attentive.

Pour éviter une surcharge mentale, après tout cette nota est pleine de mots compliqué de trois à quatre syllabes, je vous ai écrit une version équivalente qui n’utilise que des mots courts et simples :

Note : pour être plus à l’aise, on oublie les femmes.

Ce qui m’amène naturellement à la question suivante : « pour l’aise de qui ? ».

Ce n’est pas pour le confort du lecteur. Parce que autant je n’aime pas le point médian, autant je ne supporte pas de lire un qualificatif masculin concernant une femme. Mon cerveau entre en dissonance cognitive en se demandant si on parle d’un homme ou d’une femme et finalement de qui on parle…

Pour faciliter la lecture il eut été plus efficace d’accorder ces mots à la personne à laquelle ils font référence.

C’est donc peut être pour celui qui rédige la convention ? Mais elle est générée par une application web à partir des données d’un formulaire rempli par les futurs stagiaires et qui demande déjà le sexe… rajouter ce cas d’usage doit pas prendre plus d’une demi journée (tests unitaires compris).

Je veux dire, l’industrie du jeu vidéo est capable de traduire les contenus dans une ribambelle de langue et les localiser dans autant de pays. Il y a même des jeux où on choisi le sexe du personnage puis tous les dialogues sont accordés… Mais une Université qui comprend des cursus d’enseignement et des instituts de recherche en informatique ne serait pas capable d’utiliser une instruction if

D’autant que si j’en crois la Charte de promotion de l’égalité et de lutte contre les discriminations à l’Université de Rennes qui est en annexe de la convention (pages 7 et 8) et que j’ai du signer, ce genre de petite chose aurait du être prévue…

Lutte contre les discriminations & bannissement des stéréotypes

Et parce que l’extrait précédent pourrait passer pour ambigu, voici un extrait de l’annexe de cette charte (également présente dans la convention) qui défini les discriminations directes.

Constitue une discrimination directe la situation dans la quelle sur le fondement de son sexe […] une personne est traitée de manière moins favorable qu’une autre

Donc alors même que l’Université de Rennes prétend lutter contre le stéréotypes et les discriminations, elle rédige des conventions qui mettent de côté la moitié de la population. Pire, la note mentionne 4 rôles qui sont masculinisés, la convention n’est donc grammaticalement bien accordée que si ces 4 rôles sont effectivement masculins ce qui n’arrive que dans 1 cas sur 16.

Dans 15/16 cas possibles, au moins une femme doit faire l’effort cognitif d’ignorer l’erreur d’accord la concernant. En réalité, c’est 100 % des femmes qui doivent faire l’effort d’ignorer l’irrespect dont elles font l’objet.

Systématiquement car les conventions des autres stagiaires de 2nde que j’ai accueilli étaient également rédigées au masculin mais ces conventions–là n’avaient pas l’hypocrisie d’une note prétendant que c’était pour notre bien. Pour la facilité de lecture.

J’ai récemment trouvé une note équivalente à la suite du chapitre « à propos de la traduction » du livre L’art du Game Design1 :

Dans cet ouvrage, nous nous conformons à la règle qui permet d’utiliser le masculin avec la valeur de neutre. Cette utilisation n’a aucune intention discriminatoire.

Pour vous la paraphraser, le traducteur avait la flemme de faire un effort pour les femmes alors il prétexte une règle qui permet de les discriminer. Mais promis, c’est pas le but. Que ça en ait quand même l’effet, il s’en tape2. Que la règle ait été rédigée dans cette intention, il s’en tape aussi3. Après tout, c’est pour la facilité de lecture !

C’est pourtant pas les solutions qui manquent… Je comprend que les formes contractées peuvent paraître difficiles et que les doubles flexions allongent le texte. Mais on peut trouver des termes épicènes ou des formules englobantes (i.e. remplacer « tuteur : » par « tutorat de stage … »). Ou pourquoi pas, soyons disruptifs, rédiger un chapitre sur deux au masculin et l’autre au féminin.

Je sais qu’il y a plein d’autres problèmes sur la planètes qui mériteraient notre attention et nos efforts, mais ce n’est pas une raison pour faire perdurer celui-ci !

Alors, lorsque ma future stagiaire m’a envoyé le PDF généré par l’application, je l’ai ouvert avec Libre Office (Draw) puis j’ai consciencieusement féminisé la totalité des formulations (y compris la tutrice de stage) et c’est cette version que j’ai imprimé sur papier, signé de ma belle écriture puis scanné et renvoyé pour l’Université. La différence ne se remarque que si on lit le texte, mais qui lit les contrats ?

Nota : pour faciliter la lecture du document, les mots “stagiaire”, “enseignante référente”, “tutrice de stage”, “représentante légale”, et “étudiante” sont utilisés au féminin.

Et si d’autres veulent faire de même, mais ne veulent pas modifier le PDF, j’ai aussi produit ce modèle de convention de l’Université de Rennes au format odt qu’il suffit de compléter avant de l’imprimer. Avec cette version, dans 15 cas sur 16, une femme n’a pas besoin de faire d’effort concernant l’accord la concernant.

Pour la petite histoire, la convention m’est revenue signée par les parties sans aucune difficulté.