Prouver qu'une vidéo est un montage

Il y a quelques temps, Jean (prénom d’emprunt) nous a contacté car il se considérait victime d’un trucage vidéo et cherchait un moyen de se défendre...

Son employeur l’a fait suivre par des détectives pendant un arrêt maladie et verse au débats la fameuse vidéo qui le montre bien trop agile pour sa maladie. Jean ne se trouve pourtant pas si agile et penses que la vidéo a du être truquée.

De notre côté, on fait un premier visionnage rapide et on la trouve plutôt saccadée...

Un montage de montages

Après l’habituel calcul des empreintes cryptographiques (pour garantir l’authenticité des fichiers analysés), on commence par regarder les méta-données...

Aucune métadonnée ne mentionne d’appareil de prise de vue, aucun horodatage d’une prise de vue, aucune géolocalisation non plus. Rien de ce qu’on trouve habituellement sur une vidéo issue d’une caméra.

Au contraire, on trouve plutôt les informations de montage... Logiciel de montage (After Effect), date de montage (un mois après la clôture du rapport), fichiers sources, chemin du répertoire du projet. Ce chemin est intéressant car il contient le nom de l’utilisateur, formé de l’initiale du prénom suivie du nom de famille ; il correspond à un graphiste, collègue de Jean pour le même employeur...

Les métadonnées mentionnent aussi l’organisation des rushs utilisés pour le réaliser. Après dédoublonnage on liste une centaine de portions de vidéos avec leurs position et durée dans les fichiers initiaux et celui de destination. Et pour mieux les visualiser, on produit une sorte de diagramme de Gantt où chaque rush est sur une ligne ; la pente permet de se rendre compte de la densité des portions.

Exemple de visualisation de l’organisation des rushs dans un montage (les données sont ici aléatoires).

Curieusement, ces informations suggèrent que le montage n’ait consisté qu’à mettre bout à bout les fichiers sources. Pourquoi avoir monté autant de petites portions alors qu’elles sont toutes contigües ? Parce que c’est After Effect qui a gardé l’information des rush des fichiers sources, qui étaient eux-même des montages...

Nombreuses coupures

Problème, lorsqu’on regarde le diagramme précédent, il est sensé y avoir plusieurs séquences plutôt longues sans coupures, mais ça ne correspond pas à ce qu’on voit lorsqu’on regarde la vidéo... Et on se dit qu’il y a quelque chose à creuser.

On développe un petit outil qui détecte des coupures lorsque deux images successives sont trop différentes.

Et certaines coupures ne sont pas anodines. Par exemple lorsque Jean sort de sa voiture (garée devant un parc). Il y a en fait 4 coupures rien que sur cette action. Le problème, c’est qu’on a pu estimer que le temps coupé correspond à peu près au temps restant. Si la suite des images ne semble pas accélérée, le mouvement général prend moitié moins de temps qu’en réalité.

Des répétitions

En vérifiant à la main les coupures, on a l’impression de voir plusieurs fois la même action. C’est courant lorsqu’on fouille des photos sur des disques durs, parce que les photos sont pas toujours bien triées lorsqu’on les passe au peigne fin, mais pour une vidéo, c’est étrange...

On se code un petit outil pour voir deux images d’une même vidéo puis les faire défiler en parallèle et, en jouant avec les deux curseurs, on arrive à les synchroniser. La séquence de 25 images est bien utilisée deux fois. Et grâce à notre outil, on en trouve plusieurs autres.

Se pose maintenant deux problèmes. Comment trouver les autres répétitions, et comment visualiser ce résultat ?

Visualisation des corrélations entre couples d’image. Exemple avec une portion de Big Bug Bunny.

Pour y arriver, nous avons calculé la similarité entre chaque couple d’image et l’avons visualisée sous forme de matrice. Chaque pixel correspond à la similarité entre l’image en abscisse et celle en ordonnée. La diagonale principale se voit en jaune car ces images y sont comparées avec elle même (donc identiques).

Les répétitions se voient facilement par de petites diagonales jaunes ailleurs dans l’image. Elles correspondent à des séquences d’images identiques, mais à deux endroits différents du flux vidéo. Sur l’exemple plus haut, on voit les répétitions des gestes des petits animaux lorsqu’ils lancent des fruits sur Big Bug Bunny.

Le montage n’a donc pas consisté qu’à mettre bout à bout des séquences, où à enlever des portions. Il a aussi consisté à répéter certaines d’entre elle, Jean est alors montré faisant le même geste plusieurs fois.

Une réécriture

À force de regarder les débuts et les fins des séquences, à essayer de les synchroniser, une autre bizarrerie nous frappe. Deux séquences semblent montée en ordre inverse...

On reprend une analyse minutieuse des séquences en question. On regarde tous les petits détails, tous les objets qui bougent, entrent et sortent du cadre. On dresse un plan du parc où Jean se ballade à partir des points de vue et du décors et on y note l’emplacement de la caméra...

La vidéo nous montrait Jean assis à un banc du parc, puis se baladant vers un autre et ainsi de suite pour en faire le tour avant de rentrer chez lui. En fait, il n’a visité qu’un seul banc puis est revenu à sa voiture.

Conclusion

Ce qui était présenté comme la vidéo des prises de vue des détectives était finalement un montage vidéo à partir d’autres montages. Des séquences ont été coupées, d’autres ont été répétées et réorganisées pour tordre le réel et raconter une histoire plus compatible avec les prétentions de l’employeur.

Comme toujours, le vrai coûte plus que le faux, et prouver le faux coûte encore plus. Il a fallu deux détectives pendant deux jours pour produire les prises de vues. Le montage lui-même n’a pas du prendre plus d’une demi journée de travail au graphiste. Et finalement notre analyse du montage a nécessité deux experts pendant plus d’une semaine.

C’est pour cette raison qu’on devrait toujours considérer qu’un vrai est accompagné de sa preuve. Un montage vidéo, aussi minime soit-il (e.g. ajout de sections de titres) devrait toujours être accompagné des fichiers originaux. C’est ce que nous faisons lorsque nous ajoutons des planches contacts à un rapport ; la vidéo originale est systématiquement en annexe numérique.

Si ce n’est pas la cas, si l’original n’est pas fourni, c’est forcément louche, par principe. Et si vous êtes face à ce genre de vidéo, n’hésitez pas à demander l’aide d’un expert.